Des rimes liées aux thèmes abordés, dans certaines sourates du Coran
Le Coran parvient à conjuguer une prose dense et subtile, avec un texte agréable à lire et entendre, contenant beaucoup de rimes. Pourtant, tout poète sait qu’il est difficile de conjuguer forme et contenu, et que cela demande des heures de travail. Or, non seulement les rimes sont nombreuses, mais en plus, elles peuvent s’adapter au contexte et changent souvent selon les thèmes abordés.
En voici un exemple :
Sourate 100, « Al-‛ādiyāt » (Les coursiers)
Traduction rapprochée | Fin du verset (prononciation) | Thème |
Par les chevaux qui galopent en haletant | … dabhā | Les chevaux de bataille fin du verset en « -ā » |
Qui font jaillir des étincelles, | … qadhā | |
Qui attaquent au petit matin, | … soubhā | |
Faisant ainsi voler la poussière, | … naq‛ā | |
Puis qui enveloppent un groupe | … djam‛ā | |
Vraiment, l’homme est ingrat envers son Seigneur, | … lakanoūd | L’ingratitude de l’homme et ses défauts fin du verset en « -d » |
Et il est, certes, témoin de cela (contre lui-même), | … lashahīd | |
Et pour l’amour des richesses, il est certes ardent. | … lashadīd | |
Ne sait-il donc pas que lorsque sera bouleversé ce qui est dans les tombes | … fil-qouboūr | Le jour du Jugement et l’heure des comptes fin du verset en « -our » |
Et que sera dévoilé ce qui est dans les poitrines | … fis-soudoūr | |
Ce jour-là (le jour du Jugement), certes oui, leur Seigneur sera parfaitement informé d’eux ? | … l-lakhabīr |
On peut décomposer cette sourate en trois parties, selon le sujet. Or, pour chaque partie, la rime diffère : pour les cinq premiers versets, la rime est en « -ā », pour les trois suivants, elle est en « -d », et pour les trois derniers, elle est en « -r ».
Un schéma similaire se retrouve dans la sourate 90 :
Sourate 90, « Al-Balad » (La Cité)
Traduction rapprochée | Fin du verset | Thème |
Non ! Je jure par cette cité (La Mecque) | … albalad | Le serment sur la Mecque, paroles sur l’homme et sur le mécréant fin du verset en « -ad » ou « -da » (v. 6 uniquement) |
Et toi (ô Mouhammad), tu es un résident de cette cité. | … albalad | |
Par le père (Ādam) et ce qu’il engendre (l’humanité) ! | … walad | |
Nous avons certes créé l’homme pour une vie de lutte. | … kabad | |
Pense-t-il (le mécréant) que personne ne pourra rien contre lui ? | … ahad | |
Il dit : « J’ai dépensé énormément d’argent (pour combattre). » | … loubada | |
Pense-t-il que nul n’a vu ce qu’il a fait ? | … ahad | |
Ne lui avons-Nous pas donné deux yeux, | … ‛aynayn | Interpellation, questions rhétoriques sur l’homme fin du verset en « -ayn » |
Une langue ainsi que deux lèvres (pour s’exprimer) ? | … shafatayn | |
Ne lui avons-Nous pas indiqué les deux voies (du bien et du mal) ? | … an-najdayn | |
Or, il ne s’engage pas dans la voie difficile ! | … al-‛aqabah | Description des deux voies : la voie difficile (celle du Paradis), la voie des dénégateurs (celle de l’Enfer) fin du verset en « -ah » |
Et qui te dira ce qu’est la voie difficile ? | … al-‛aqabah | |
C’est d’affranchir un esclave, | … raqabah | |
Ou nourrir, en un jour de famine, | … massghabah | |
Un proche parent orphelin, | … maqrabah | |
Ou un pauvre dans le besoin. | … matrabah | |
Et c’est être, en plus de tout cela, de ceux qui croient, se recommandent mutuellement l’endurance et se recommandent mutuellement la miséricorde. | … l-marhamah | |
Ceux-là seront les gens de la droite (au Paradis). | … l-maymanah | |
Ceux qui ne croient pas en Nos versets seront, quant à eux, les gens de la gauche | … l-mash’amah | |
Ils seront dans un Feu qui se refermera sur eux. | … mou’ssadah |
Encore une fois, on constate que les rimes s’accordent selon le sujet abordé (avec une variation dans le sixième verset, en « -da » au lieu de « -d »).
Le procédé décrit se retrouve encore dans d’autres sourates ; nous avons choisi deux sourates courtes (situées vers la fin du Coran), qui se prêtent bien à cet exercice, mais on peut distinguer le même schéma dans de nombreux autres passages du livre.
Ainsi, une autre sourate plus longue observe la même logique, il s’agit de la sourate 19, « Maryam » (Marie), qui comporte 98 versets et est assez longue (environ 20 minutes pour la lire entièrement) :
Sourate 19, « Maryam » (Marie)
Passage | Fin du verset | Thème |
Versets 2 à 33 | Rimes en « -iya » : يّا « aï-a » يْـٔا (v. 9 uniquement) Sonorité douce. Assonance : répétition de la voyelle « a » | Narration : Histoire de Zakariyā (Zacharie) et de son fils Yahya (Jean). Histoire de Maryam (Marie) et de son fils ‛Īssā (Jésus) |
Versets 34 à 40 | Changement brusque : « -ounn » : ون « -ounn » : ون « -imm » : يم « -imm » : يم « -inn » : ين « -ounn » : ين « -ounn » : ون Allitération : répétition des consonnes « m » et « n » | Mise au point soudaine et solennelle au sujet de la divergence concernant ‛Īssā (Jésus). Évocation du Jour du Jugement. |
Versets 41 à 74 | Reprise de la rime initiale : « -iya » : يّا | Retour à la narration : Des versets 41 à 58, Histoire d’Ibrāhīm (Abraham), de Moūssā (Moïse), et d’autres prophètes. À partir du verset 59, évocation des « générations » successives, du Paradis et de l’Enfer. Questionnement des négateurs sur la résurrection et leur situation terrestre. (Le verset 74 fait écho au verset 59) |
Versets 75 à 98 | Rimes identiques : « -a » : ا | Évocation de la puissance d’Allah, récusation des affirmations de certains hommes sur des sujets liés à l’Invisible (attribution de la subsistance, prétendu enfantement divin). Évocation du Jour du jugement et du devenir des hommes. Conclusion sur l’évocation des « générations » disparues. (le dernier verset de la sourate fait écho aux versets 59 et 74). |
Cette dernière sourate est donc construite de façon très fine, avec des rimes liées au contexte et des passages qui se font écho (sans toutefois se répéter).
Ces subtilités ne peuvent être saisies lorsqu’on lit la traduction française ; ainsi, beaucoup de ceux qui lisent des exemplaires du Coran traduits sont déstabilisés par l’organisation prétendument désordonnée des sujets abordés. Certains peuvent logiquement penser que les sourates passent d’un thème à l’autre sans ordre réfléchi. Or, c’est tout l’inverse : la beauté poétique du texte coranique se conjugue avec la cohérence des sujets abordés. De même, les sujets abordés se répètent d’une sourate à l’autre, à chaque fois d’une façon différente, pour mieux infuser dans l’esprit du lecteur ; c’est un rappel pour l’homme, afin qu’il n’oublie pas les points précédemment abordés. En outre, les rimes et le rythme entraînant du livre sont des moyens facilitant son apprentissage. Le style coranique est donc au service du message destiné au musulman.
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